Si les apparitions d’Edgar Morin se font rares, celle-ci restera sans doute comme l’une des plus marquantes. « Je suis à la fois ahuri et indigné par le fait que ceux qui représentent les descendants d’un peuple qui a été persécuté pendant des siècles (…) puissent non seulement coloniser tout un peuple (…) mais en plus, après le massacre du 7 octobre, se sont livrés à un véritable carnage, massif, sur les populations de Gaza ».
Les yeux brillants et la voix aiguë, appuyant chacun de ses mots, le philosophe et sociologue français de 102 ans a livré un court plaidoyer le samedi 10 février devant une salle comble au Festival du livre africain de Marrakech, où il était l’invité d’honneur, déplorant « une tragédie horrible ». L’offensive israélienne a fait plus de 28.000 morts à Gaza depuis le début de la guerre il y a plus de quatre mois, selon le ministère de la Santé géré par le mouvement Hamas.
Juif résistant
Le message est d’autant plus fort qu’il provient d’un fils d’immigrés juifs originaires de Salonique, né Edgar Nahoum, et qui a rejoint la Résistance en 1943 en tant que lieutenant dans les Forces françaises combattantes formées par le général de Gaulle, adoptant par la suite son nom de résistant, Morin. Influencé par Marx, celui qui a étudié la philosophie, la psychologie, la sociologie et l’histoire de la science politique a toujours eu l’ambition de devenir ce qu’il appelle un « humanologue », ou de comprendre ce qu’est l’humain en croisant les savoirs.
L’extrait en question a été partagé des dizaines de milliers de fois sur X, où l’humanité de l’intellectuel a été largement saluée, y compris par certains responsables politiques français, à gauche sur l’échiquier. « Edgar Morin pense et parle juste pour le compte de tous ceux à qui il reste un sentiment humain face au génocide à Gaza » a loué sur X le chef de fil de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon. « Un siècle et un regard capable de s’indigner encore, de condamner les silences », a tweeté de son côté Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste.
Dans une récente tribune au Monde, Edgar Morin s’était déjà exprimé sur la tragédie de Gaza, tout en s’alarmant de la multiplication des conflits dans le monde et du réchauffement climatique. « Les crises s’entretiennent les unes les autres dans une sorte de polycrise écologique, économique, politique, sociale, civilisationnelle qui va s’amplifiant », avait-il écrit, avant d’appeler à « la résistance fondamentale de l’esprit » contre « la haine et le mépris ».
Dans sa dernière intervention, le sociologue a ainsi dénoncé « le silence du monde, le silence des États-Unis protecteurs d’Israël, le silence des États arabes, le silence des États européens qui se prétendent défenseurs de la culture, de l’humanité, des droits de l’homme ». Avant de conclure : « La seule chose qui reste, si on ne peut pas résister de façon concrète, c’est de témoigner ».